jeudi 5 novembre 2009

Chagrin d'école

Avec « Chagrin d'école », ce n'est pas un produit romanesque dans la lignée de « Malaussène » que Pennac nous livre mais plutôt un essai dans une forme peu classique ne reniant toutefois pas son héritage de « Comme un roman ». Cet ouvrage aborde la question de l'école, plus précisément l'exclusion du « cancre » qui n'en possède ni les codes,ni les clées, cancre que fut d'ailleurs l'auteur dans sa jeunesse.
Un énième livre sur l'école me diriez-vous?Un énième livre où l'on fustige le carcan pédagogique, le manque de formation des enseignants, le sur-effectif des classes.........Et bien non! L'auteur nous déverse les fruits de sa pensée dans le désordre apparent d'une parole qui s'écoule, mêlant ses propres souvenirs d'écolier en souffrance à son expérience d'enseignant, le tout illustrant ou servant ses réflexions plus générales sur l'école.

Grande est la place faite au cancre dans ce livre.Il y est question des plaies inguérissables1 que lui inflige son inaptidute à entrer dans la peau de l' « l'élève ». De cet élève tant attendu par l'institution scolaire et son incarnation charnelle en la personne du « maitre », de l' « enseignant », du « professeur », de celui qui sait face à celui sur qui semble-t-il le savoir glisse.L'auteur sait habilement nous restituer les sentiments, le ressenti de cet élève-là, de celui pour qui l'école est un monde étranger,étrange, pour qui  « Les mots du professeur ne sont que des bois flottants auxquels (il) s'accroche sur une rivière dont le courant l'entraîne vers les grandes chutes. Il répète ce qu'a dit le prof. Pas pour que ça ait du sens, pas pour que la règle s'incarne,non,pour être tiré d'affaire, momentanément, pour qu' « on (le) lâche ». Ou qu'on (l')'aime.A tout prix. ».Le sentiment d'exclusion de celui qui ne comprend pas est terriblement fort, il ne peut éprouver le sentiment d'appartenance à la classe ,il n'en connait pas la langue,ni les savoirs, il se sent différent, isolé au sein du groupe, éprouvant alors « la solitude et la honte de l'élève qui ne comprend pas, perdu dans un monde où tous les autres comprennent.».

Le cancre reste un enfant passé les portes de l'école là où les autres camarades de son âge deviennent des « élèves », Pennac touche du doigt cette difficulté d'incarnation4 propre à ceux pour qui le monde scolaire reste étranger. N'ayant pas accès à ce monde,ils se réfugient alors dans leur monde intérieur, ils rêvent, ils plannent, ils sont « ailleurs ». L'auteur pose et soulève l'épineux, le polémique et douloureux double problème de la non-adaptation du cancre à l'école et de l'école au cancre, il s'agit de « Savoir si l'école est faite pour toi ou toi pour l'école, tu n'imagines pas comme on s'étripe à ce propos dans l'olympe éducatif.) ».Faut-t-il en effet tenter de « formater » le cancre rebel au système scolaire ou adopter de nouvelles façons d'enseigner afin qu'il n'en soit pas exclu?La seconde solution semblerait aller de soit mais s'il n'en va pas ainsi c'est que l'art est difficile et l'institution se fait parfois bastion poussiéreux. De plus l'auteur dénonce le « on ne nous a pas préparé à ça » communément admis au sein du corps enseignant. En effet, pour l'auteur qui fut également professeur durant de longues années, les difficultés éprouvées par les enseignants ne trouveraient pas leurs origines dans le manque de formation,la crise économique, l'irresponsabilité des parents …....mais dans le choc de la rencontre entre le savoir incarné par l'enseignant et l'ignorance en la personne du cancre:« le choc du savoir contre l'ignorance!Il est trop violent. La voilà, la vraie nature du « ça »6. Une forteresse infranchissable se dresserait entre les deux et empêcherait toute communication efficace et compréhension mutuelle. Le principal handicap du maître serait son incapacité à se mettre à la place de celui qui ne sait pas et ce ne sont ni les diplômes ni les concours qui pourraient le lui permettre, en effet « Le gros handicap des professeurs tiendrait dans leur incapacité à s'imaginer ne sachant pas ce qu'ils savent. ».
L'auteur fustige également la société de consommation qui instrumentalise l'enfant et lui impose d'être un consommateur inassouvi, de ne se définir que par ce qu'il possède matériellement, de ne penser trouver son salut que dans les marques; ces mêmes marques prennant posséssion de leurs esprit, leur apauvrissant même le lexique en se substituant aux noms originaux des objets, « chaussure » tombant dans l'oubli aux profit de la marque N …......Les enseignants essaieraient donc alors de leur rendre leur « tête » alors que ces derniers pensent qu'ils ne sont là que pour la leur prendre!
Si l'enfant, l'adolescent doit endosser son costume d'élève passé la porte de l'école, il en va de même pour l'homme ou la femme qui, la porte franchie incarne le « professeur », le « maître », « la maîtresse » qui doit être toute entier à sa tache pour que sa mission de passeur de savoirs puisse efficacemment s'accomplir. L'enseignant doit être totalement présent et disponible physiquement,mentalement pour sa classe même si les aléas de sa vie (qu'il ne peut pas toujours laisser derrière lui )peuvent influer sur les qualités de son cour et de sa relation aux élèves, le salut du maître se trouverait entre autre dans la qualité de son sommeil: « la première qualité d'un professeur est celui qui se couche tôt.»
Ces constats faits, l'auteur semble emprunt d'une certaine nostalgie qui pourrait sembler archaïque de nos jours, il reste visiblement fortement attaché aux notes,aux dictées, aux textes mémorisés par coeur, ayant pourtant paradoxalement collectionné les mauvaises notes durant l'enfance.

Restent que « Tout le mal qu'on dit de l'école nous cache le nombre d'enfants qu'elle a sauvés des tares, des préjugés, de la morgue, de l'ignorance, de la bêtise, de la cupidité, de l'immobilité ou du fatalisme des familles. » et qu'« Il suffit d'un professeur-un seul!-pour nous sauver de nous-mêmes et nous faire oublier tous les autres. »