vendredi 3 avril 2009

Belle du seigneur

Ma rencontre avec Belle du Seigneur il y a quelques années a été pour moi une révélation, j’y ai trouvé des pensées sous-jacentes que je partage, un style percutant et des personnages attachants.

Ariane le personnage féminin central mène une quête amoureuse motivée par une idéalisation romanesque de l’amour. La quête infantile, illusoire et morbide d’un amour absolu est traitée avec beaucoup d’ironie par l’auteur mais une ironie teintée de psychologie et d’humanité. Cohen tente de prendre de la distance par rapport à tout un héritage romanesque et son ironie subvertit l’écriture du roman traditionnel et ses conceptions.

Ariane est une amante passionnée en puissance : nourrie de lectures et de rêves, elle idéalise l’amour, aimant l’amour avant même de l’éprouver à l’image de l’Emma de Flaubert. Ariane aspire à vivre une vie amoureuse semblable aux modèles romanesques dont elle se nourrit. Le mari d’Ariane : Adrien, est le négatif des amants qu’elle rencontre dans ses romans, son mariage est perçu comme une erreur de parcours. Elle est en attente d’un amant qui se rapprocherait plus du « prince charmant » de son adolescence que du mari dont elle est affublée. Après avoir eu des amants de papier et de songes, c’est bien un être de chair qu’elle rencontrera et qui prendra toute sa valeur en opposition avec le mari. Solal son amant en a conscience et se sert même du mari comme faire valoir dans ses tactiques de séduction : « Deuxième manège, démolir le mari […..] . Tout cela pour que l’idiote déduise que je suis de l’espèce miraculeuse des amants, le contraire d’un mari à laxatifs, une promesse de vie sublime. »

Dans ce roman , le lecteur doit accepté d’être bousculé sans cesse par un double langage, une ironie qui peut faire de lui le complice de l’auteur. La double lecture nous permet de nous interroger sur les intentions de l’auteur, la dualité des personnages. Plus largement ce roman met à nue les antagonismes de l’Homme vis-à-vis de ses relations amoureuses, en particulier lorsqu’elles s’avèrent passionnelles. Cohen pose des questions en évitant soigneusement d’y apporter une réponse, ce qui donne au lecteur un vaste champ de réflexion. Cohen égratigne les homme et les femmes sur ce qui construit leur identité et leur rapport à l’autre : la passion amoureuse, le mariage, la quête de l’identité notamment sexuelle, le poids du social, le rapport au temps, à l’enfance, la maternité, la mort….. Le style est incisif et efficace.

Quelques extraits : « les amantes, une fois que l’homme est malade ou affaibli en un certain lieu de son corps, elles ne lui disent plus de poésies parce qu’il les dégoûte et elles l’ont en grande haine ; les amours païennes genre Anna Karénine ce sont des mensonges où il faut parader, ne pas faire certaines choses, se cacher, jouer un rôle, lutter contre l’habitude. »
Solal : « Femelle, je te traiterai en femelle, et c’est bassement que je te séduirai, comme tu le mérites et comme tu le veux. A notre prochaine rencontre, et ce sera bientôt, en deux heures je te séduirai par les moyens qui leur plaisent à toutes, les sales, sales moyens, et tu tomberas en grand imbécile amour »
Ariane : « En somme, je suis son esclave. Je me dégoûte de l’aimer comme ça, mais c’est exquis »

Ce roman est un pavé (1110 pages en folio) mais il vaut très largement le temps qu’on passe à le lire et fournit beaucoup de pistes de réflexion sur la nature humaine et ses paradoxes. Bonne lecture !

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