vendredi 3 avril 2009

Mes mauvaises pensées

Tout est là, tous les livres sont là vous savez, il suffit de prendre le soleil de l’hiver, il suffit de s’infiltrer dans la foule et tout commence » Mes mauvaises pensées Nina Bouraoui roman stock 2005 ,p181

« Avec les mauvaises pensées, j’ai si peur de ne plus savoir qui je suis ».ibid,p262

A travers Mes mauvaises pensées, Nina Bouraoui nous livre sa quête identitaire dans un récit d’introspection qui prend la forme d’une double confession à un psychanalyste et aux lecteurs .
Le livre a faillit me tomber des mains à maintes reprises tant je n’arrivais pas à me frayer un chemin parmi ces flots de paroles, que j’ai de prime abord considéré comme narcissique et sans intérêt, me rebutait, sa prose qui semble suivre les flashs d’une conscience qui s’éveille n’était pas non plus aisée à suivre.
J’ai tenu bon et j’ai bien fait de persévérer car j’aurais manqué une belle rencontre.

Son autobiographie, c’est d’abord la nostalgie de l’enfance algérienne. La ville blanche est revue et sublimée à travers le prisme des souvenirs adolescents. C’est une autre vie que l’auteur a du mener à Paris car « il n’y a pas d’enfance en Algérie, il n’y a qu’une première vie ». « Je viens d’où », qui suis-je ? sont bien les deux questions au centre de la quête de l’auteur et elles portent d’abord sur cette terre d’Afrique du nord. S’y déploient des souvenirs sensuels : des images, des parfums, des sensations tactiles qui bâtissent un « édifice sensuel » .
Cette Algérie est un pays fantasmé, celui de l’enfance, de la prime adolescence, celui des origines de la féminité. Faire revivre ce pays intérieur semble être une question de survie pour Nina Bouraoui, pour ne pas oublier, pour retrouver ses origines, pour savoir.Savoir d’où l’on vient pour savoir qui l’on est !


« D’où je viens ? » ramène l’auteur à ses origines familiales : de quelle famille suis-je issue ? l’auteur se plonge au plus profond des liens tissés inconsciemment entre les générations.
Pèse sur elle le poids de relations qui pré-existaient à sa naissance. Sa mère a toujours eu des relations difficiles avec son propre père et a tenté de tenir ce dernier à distance : « Mon grand-père me fait penser à l’Algérie parce que ma mère disait souvent, là-bas : « J’ai dû mettre deux milles kilomètres entre lui et moi ».
Prisonnière malgré elle de ce lien destructeur, elle présent qu’il est en partie à l’origine du mal-être qu’elle éprouve : « Je suis au bout du fil que tendait ma mère avec son père, et je n’arrive pas à le rompre ».
La petite fille, qui souffre à l’intérieur de la femme qui écrit, a soif de savoir, de connaître véritablement qui sont ses parents : « avoue- moi ton enfance papa, avoue moi ton père, avoue moi tes souvenirs, élargis le champs ».Nina Bouraoui prend conscience du rôle qu’elle et sa sœur ont dû endosser auprès de leur mère : des enfants-réparations, des enfants qui doivent apporter à leur mère ce qu’elle n’a pas eu dans sa propre enfance : « Ma mère est silencieuse parce qu’elle est contre sa mère et qu’elle n’a pas l’habitude vous savez ; elle a appris l’amour par ses enfants », « ma mère a réparé son enfance par mon enfance ». Comment devenir adulte quand ce cordon ombilical est si vital , « il faut du temps pour se défaire du lien des ventres ».
L’amour de cette famille a sauvé et construit affectivement cette mère, il lui a donné naissance : « Nous avons engendré ma mère, l’amour de ma sœur, l’amour de mon père, mon amour l’ont construite, l’ont façonnée, c’était nous contre eux ».
Nina Bouraoui semble être l’éponge du passé familial : « Ces histoires font aussi partie de moi, je suis le sujet-buvard ». Elle appartient à la dernière génération et ce poids pèse sur ses épaules, le poids des morts avec lesquels il faut vivre, le poids de ceux qui vont partir et de ceux qui restent et qu’il faut porter.


Au centre de sa quête identitaire il y a également une vrai crise de l’identité sexuelle. C’est avec une grande délicatesse et une grande pudeur que l’auteur évoque ses amours lesbiens.Les souvenirs ne se succèdent pas de manière chronologique, ils se croisent, s’alternent, se fondent.
L’auteur semble fascinée par la féminité de ces autres, par leurs forces, leurs violences et l’aspect maternant de ces dernières. Nina Bouraoui se vit comme le fils que son père n’a jamais eut, comment peut-elle alors s’assumer pleinement femme ? Comment un homme pourrait-il rivaliser avec cette image de père si prégnante ?
Aimer l’autre c’est s’oublier car « il y a dans l’amour une déconnexion de soi », c’est se fondre « au corps de l’autre ».La fusion charnelle touche à l’introspection, à la recherche de soi : « il y a un vertige du corps qui se regarde de l’intérieur ».L’autre semble être son miroir : « quand M dit : « Tu es tombée amoureuse ? » je ne réponds pas, puisque je sais que c’est moi dont je tombe amoureuse quand je pense à vous ». Ces amours restent insatisfaits, seule l’Amie paraît avoir une présence affective constante.


Cette quête identitaire qui veut trouver des réponses pour donner du sens à la vie s’affronte sans cesse au thème de la destruction, au spectre de la mort.
Il y a la mort par noyade, celle à laquelle échappe l’auteur et celle de la petite fille qui a faillit mourir devant elle. On croise aussi une droguée et les angoisses de destruction et de mort qu’elle peut incarner.
Pour moi la mort y est très fortement présente de manière symbolique : tuer la petite fille pour enfin devenir femme, faire taire la « colère », explorer intellectuellement les « phobies d’impulsions » pour ne pas les mettre en pratique et pour aller au fond de soi.Il faut se morceler, se dépersonnaliser pour pouvoir s’incarner, il faut « déconstruire avant de construire ».
L’attirance-répulsion pour la mort est peut être aussi avant tout la peur de vivre avec toutes les émotions qui en découlent et les difficultés à les gérer : « Avant j’avais peur de vivre, c’est pour cette raison que j’avais peur de mourir ».C’est donc à mon sens la peur de ne pas être assez armée affectivement pour vivre.
Nina Bouraoui est certes une petite fille, une femme mais aussi un auteur. Plonger en soi pour elle c’est aussi donner du sens à l’acte d’écrire.L’écriture lui permet tout d’abord de figer ses souvenirs et ses pensées : »tout écrire pour tout retenir ». L’écriture se fait alors restitution de la mémoire affective et sensuelle et le média de la pensée, l’outil qui fait affleurer l’inconscient.
Ecrire, lire, c’est se réfugier en soi, se mettre en retrait du monde. Elle permettent de dresser un mur protecteur entre soi et les autres : « Les livres ont ce pouvoir d’annuler le monde, d’étouffer les cris ; ce sont des livres murailles, il y a plusieurs façons de quitter la vie, les livres sont de cette drogue », « L’écriture vient de là.Je n’ai aucun désir du monde, je ne pouvais qu’écrire en retrait,seule, penchée sur mon bureau, seule avec les spirales de mots ».
En outre, l’écriture n’est pas la retranscription fidèle de la réalité mais d’une réalité, celle de l’auteur.Nina Bouraoui nous donne sa vérité, en cela l’écriture est un « travail de faussaire ».
Néanmoins, si elle n’est sans doute pas objective sur son histoire car elle ne peut l’être, elle donne le sentiment de se livrer sincèrement ou du moins arrive-t-elle à nous le faire croire. Elle se met à nue, partage sa chair avec le lecteur, d’ailleurs : »il y a de la sexualité dans l’acte d’écrire, il y a de l’exposition et de l’intime ».

BREF ……………je vous en conseille la lecture mais elle convient mieux aux longues soirées qu’à la lecture hachée du métro .A mon sens il faut donner du temps à ce récit.Merci à ceux qui auront eu le courage de me lire jusqu’au bout !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire